Y a-t-il une vie en dehors de l'entreprise? "Mille fois oui", répond aujourd'hui l'expérimenté B.J., après six années douces-amères passées à tenter de gravir les marches du graal managérial. "Où ca?", aurait-il sans doute répliqué si on lui avait posé cette même question le jour où le puceau de la vie professionnelle qu'était alors Benoît Jobert franchit pour la première fois les portes de Must Internet.
Totalement autobiographique, le Journal de B.J. au bureau (1), raconté par un prof d'école de commerce, Bertrand Jouvenot, reprend le mode opératoire de son modèle anglais, Bridget Jones. Soit l'apprentissage de la vie en entreprise par un jeune homme naturellement persuadé qu'un tel concentré de talents ne saurait souffrir aucune limite. Les écueils et embûches de toutes sortes viendront vite tempérer les ardeurs de B.J., qui loin d'éprouver dégoût ou ressentiment pour ce qu'il crut plusieurs fois être le job de ses rêves, en ressort toujours plus affûté pour nous faire rire - et réfléchir - sur ses illusions perdues. Comme il s'agit aussi d'un vrai livre de "management", B.J. ponctue son récit de brèves leçons (en encadré) sur les fondamentaux de cette "science" de l'entreprise. Le décalage qui en ressort entre la théorie enseignée dans les MBA et la pratique n'en est que plus savoureux.
Enfant de la bulle Internet, B.J. nous embarque à la découverte d'une start-up en surchauffe d'où il ressort marqué à vie par le concept plus éthylique que managérial d'"open-bar", du géant de la high-tech Cablotel ou chez un VPciste filiale de BML, pour bois-mode-luxe. Soldat discipliné au départ avant de finir par ne plus se départir d'une bonne dose d'impertinence, B.J. y connaît les grands classiques que sont les business plan, la présentation par slides devant un auditoire somnolent ou la stewardship delegation, délégation de soutien, à ne pas confondre avec la délégation directive! L'apprentissage des jargons propres à chaque environnement professionnel tient aussi une bonne place avec de véritables perles de franglais telles que la possibilité d'"overpasser les people" ou de "faire des tools top gun".
Mais l'entreprise de B.J. n'est pas un lieu d'ingurgitation de concepts abscons et de sacrifices du salarié. La drague et le sexe y tiennent un grand rôle, du moins pour ces jeunes adultes happés par une entreprise omniscientes avec laquelle on part en vacances, on boit et on couche. "Comme elle a fait des études de lettres, je lui ai fait des cunnilingus en dessinant les lettres de l'alphabet avec ma langue", écrit B.J. entre trois conseils pour rédiger un mailing commercial et un cours sur la "proactivité comme levier d'éfficacité". L'auteur poursuit le Journal de B.J. de manière interactive sur le Web en dédiant un blog (2) à la vie de bureau de son double.
Christophe Alix Libération, Lundi 12 Juillet 2004
(1) Ed. Maxima, coll. "Management", 301 pp., 14,80 €
(2) www.lejournaldebjaubureau.com